C’est une des fiertés régionales et l’un des plus grands rendez-vous festifs de France : les fêtes de Bayonne célèbrent cette année leur 90e anniversaire. Commencées mercredi 27 juillet, elles s’achèveront dimanche 31. La ville basque s’attend à accueillir, sur cette courte période, près d’un million de fêtards. Agoraphobe prière de s’abstenir ! Au programme : défilés de géants, courses de vachettes, concours de lancer d’espadrilles (eh oui !), démonstration de pelote basque… Mais aussi moult messes : « des familles », « des bandas » – ces fanfares de musiques traditionnelles – et même une fort à propos « messe des fêtes ». Parmi les moments forts de la fiesta, impossible de passer sous silence la tuerie des taureaux et la panique des chevaux autrement appelées corridas à cheval. Une tradition abjecte mais toujours bien ancrée dans le sud de la France. Idem à Pampelune. Autres coutumes bien établies dans ce genre de méga rassemblements : le bourrage de gueule et les démonstrations gonflées à la testostérone des mâles humains. Pour certains, ces jours de fêtes, sont synonymes de possession totale de l’espace public et de tout ce qui bouge dessus, femmes comprises.
Aux risques et périls des femmes
Les agressions sexuelles, du pelotage de fesses aux baisers forcés en passant par des crimes comme les viols, sont des réalités que les fêtes de Bayonne ne peuvent plus cacher. Chaque année, des femmes sont victimes de la débauche collective autorisée. Certaines en parlent, d’autres non. « Pour ne pas gâcher la fête, on a longtemps relativisé les agressions sexuelles et même les viols », raconte Isabel une infirmière qui, tout en appréciant l’esprit fêtard de Bayonne, dénonce les actes criminels dont sont victimes les femmes. Des propos que confirme Nathalie Riobe de l’association Pour une alternative féministe (Paf). « Parfois les autorités ont même fait supporter aux femmes les risques qu’elles encourent. C’était par exemple un élu qui demandait aux femmes de ne pas porter de jupes pour ne pas encourager les mains aux fesses », témoigne la présidente et co-fondatrice de Paf.
Autre cas typique de message dévoyé, celui envoyé en 2014 par la procureure de la République de l’époque. Après au moins deux viols et quelque 272 plaintes d’agressions, le site du journal La Dépêche (du 30 juillet 2014) rapportait que la procureure entendait situer « ces deux affaires dans leur contexte » : « Nous ne sommes pas aux Journées Mondiales de la Jeunesse (rassemblement organisé par l’Église catholique) mais aux Fêtes de Bayonne avec un million de festayres dans des situations à risque et alcoolisés ». On peut y voir un simple constat : grosse fiesta + alcools + drogues + mecs = danger pour les femmes, mais aussi une manière pour les autorités politiques et judiciaires de se déresponsabiliser avec l’envoi d’un message à peine subliminal en direction des femmes : « Cette fête, mesdames, est à vos risques et périls ».
Le climat anxiogène… à cause du « phénomène des piqûres » ?
Or, donc, changement de ton en 2022. Cette année, la sécurité s’affiche ouvertement comme la priorité de la ville de Bayonne… Dans une dépêche, l’AFP faisait état de la conférence de presse, mardi 26 juillet, veille du lancement des festivités, du maire Jean-René Etchegaray. L’édile de Bayonne dénonçait le « contexte anxiogène »… lié au « phénomène de piqûres sauvages » qui sévit depuis quelques mois en France. Il évoquait la mise en place d’un dispositif de sécurité où 1 200 personnes seront réquisitionnées entre forces publiques et privées : policiers nationaux et municipaux, gendarmes, trois compagnies de CRS et quelques centaines d’agents de sécurité. Quelque 300 secouristes et sapeurs-pompiers et un poste médical en cas de piqûres constatées complètent les équipes. Un déploiement qui a un coût : 1,3 million d’euros, soit un tiers du budget municipal des fiestas.
Et les femmes dans tout ça ? Les risques particuliers qu’elles encourent ne risquent-ils pas de se noyer dans le « phénomène des piqûres sauvages » ? Non, assure la direction de la communication de la mairie qui a transmis à Charlie un communiqué de presse détaillant les trois volets d’une campagne de prévention intitulée « Pour que la fête soit plus belle » qui pointe clairement les risques d’agressions sexuelles et/ou sexistes, la consommation excessive d’alcool et la prévention pour les festayres isolés durant la manifestation. « La communication sur toutes les préventions, dont celle à l’égard des femmes, des individus isolés a été faite lors de cette conférence de presse », précise Laurence Hardouin, maire adjointe en charge de la commission extra-municipale des fêtes et de la sous-commission prévention.
Que vienne la fin des mains au cul et aux seins
« À l’association Paf, les militantes ont toutes fait le constat d’avoir subi des mains aux fesses et aux seins et d’avoir fait comme si ces gestes déplacés étaient anodins, alors que pas du tout », constate Nathalie Riobe. « Depuis que la société commence à comprendre que ces violences spécifiques sont l’affaire de tous, des témoignages incroyables remontent à nos oreilles. Par exemple celui d’une femme isolée entourée de quatre ou cinq mecs qui se masturbaient autour d’elle », précise-t-elle encore. Heureusement, le temps où à Bayonne « tout le monde acceptait ça, y compris les femmes » est révolu. Le mouvement #MeToo est passé par là et a influencé la prise de conscience de l’ensemble de la population. Partout, des messages préventifs sont diffusés au grand air. Depuis 2017, Paf propose de son côté d’afficher aux fenêtres des slogans en français et en basque. « Chacun peut fabriquer sa propre banderole puisque la municipalité n’avait pas voulu nous suivre sur ce coup-là ». Champ libre donc pour des messages drôles et percutants. Un sérieux « Quand c’est non, c’est non » pouvait voisiner avec un « Ma minijupe ne veut pas dire oui » ou encore, conseil bienvenu en ces temps de canicule, « Si tu as chaud au caleçon, pense aux glaçons ».
Du côté de la Mairie, on explique que Paf ne fait pas partie de la commission extra-municipale et que les messages institutionnels, plus sobres, vont cependant dans le même sens que ceux des associations. La ville travaille aussi avec les bars et peñas (des bars associatifs qui font office de bars et sont ouverts à tous uniquement lors des fêtes de Bayonne). Depuis 2019, un protocole de mise en sécurité des victimes d’agressions sexistes est distribué à ces derniers, lorsqu’ils y adhèrent. Un autocollant violet porteur d’un logo « Safe Toki » – « lieu sûr » en français – avertit que l’établissement ne tolère aucune agression sexiste et est capable de protéger les éventuelles victimes.
Avec l’alcool à gogo et les désinhibitions qu’il induit, « les fêtes de Bayonne sont le temps de l’exacerbation de tout le sexisme ordinaire que connaissent les femmes à longueur d’années », constate encore Nathalie Riobe. La prise de conscience commence mais, à défaut d’une prise en compte politique d’accès pour les femmes à l’espace public, en tout temps et à toute heure, même durant les grandes beuveries collectives que sont les fiestas régionales et autres festivals, le hashtag Cestpaslafêtepourtoutlemonde risque d’avoir encore de beaux jours devant lui.
CHARLIE HEBDO du 29 juillet 2023