1 Juillet 2020
Ambroise Croizat
était fils d’ouvrier. En 1906, son père, Antoine Croizat, organisa l’une des premières grèves pour revendiquer une protection sociale, à travers une caisse de secours qui garantirait une couverture en cas d’accident ou de maladie. Après avoir été licencié à la suite de ces grèves, sa famille part pour Ugine, puis Lyon, où Ambroise devient ouvrier dès l’âge de treize ans, et entre aussitôt à la CGT.
Ouvrier métallurgiste à treize ans, député communiste du Front populaire, Ambroise Croizat participe à l’élaboration, dans la clandestinité, du programme du Conseil National de la Résistance qui débouche sur les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945 relatives à la création de la Sécurité sociale. Il déclarait alors : « Dans une France libérée, nous libérerons les Français des angoisses du lendemain ».
En 1936, il devint secrétaire général de la Fédération des métallurgistes de la CGT unifiée. Surtout, la même année, il fut élu député de Paris, mandat au cours duquel il sera rapporteur de la loi sur les conventions collectives à la Chambre.
A partir de 1945, Ambroise Croizat est Ministre du Travail sous différents gouvernements successifs. Ministre du Travail du général de Gaulle du 21 novembre 1945 au 26 janvier 1946, puis Ministre du Travail et de la Sécurité sociale du 26 janvier au 16 décembre 1946 (successivement gouvernements Gouin et Bidault) et du 22 janvier au 4 mai 1947 (gouvernement Paul Ramadier, fin de la participation communiste au gouvernement).
En tant que Ministre du Travail, il s’engagea sur la création des comités d’entreprise, mais aussi sur la médecine du travail, la formation professionnelle, la réglementation des heures supplémentaires, ou encore sur le statut des mineurs, sur les retraites…
À la tête de ce ministère, il dépose pas moins de quarante-cinq projets de loi. Il y joue également un rôle majeur dans l’implantation des caisses sur l’ensemble du territoire à travers la mise en place de 138 caisses primaires d’assurances maladie ainsi que les 113 caisses d’allocations familiales, entre novembre 1945 et juillet 1946. Pour ce faire, il s’appuie sur les travailleurs et les militants de la CGT avec lesquels il semble garder un contact permanent. Aussi s’adresse-t-il à eux le 12 mai 1946 : « Rien ne pourra se faire sans vous. La sécurité sociale n’est pas une affaire de lois et de décrets. Elle implique une action concrète sur le terrain, dans la cité, dans l’entreprise. Elle réclame vos mains … »
Michel Etiévent, écrivain, historien, jounaliste, auteur d'une quarantaine d'ouvrages, a permis à travers ses écrits et documents de retracer la biographie d'Ambroise Croizat, le grand oublié de la création de la Sécurité Sociale. Ce formidable travail de mémoire collective devrait être l'outil de base sur ce qu'ont été les luttes et conquis pour un monde meilleur pour les générations futures et c'est grâce à ces récits que ne tomberont pas dans l'oubli ces hommes et ces femmes qui ont su donner aux siècles le goût de la solidarité, de la dignité et de la fraternité.
Gilles Perret, également, est l'auteur du film "La Sociale" sur l'histoire de la Sécu et du film "les Jours heureux" qui retrace l'histoire des conquis issus du programme du Conseil National de la Résistance.
La suite de l’histoire de la Sécurité sociale et des retraites est quant à elle marquée par une série de réformes relativement récentes qui ont eu pour effet de les vider peu à peu de leur substance. Elles ont ainsi subi des attaques répétées de la part de ces gouvernements successifs, toujours selon l’objectif annoncé de « sauver » la Sécurité sociale, ou de « garantir les retraites », mais qui masque en fait une volonté inavouable de libéraliser le système de protection sociale, de surcroît lorsqu’ils traitent de sa nécessaire « modernisation » pour l’adapter aux défis contemporains.
Il suffit de lire Denis Kessler pour comprendre que c’est l’ensemble de l’édifice social bâti dans le sillage du CNR qui est en danger. Éditorialiste à Challenges, ancien vice-président du MEDEF, directeur général de la compagnie d’assurances privées AXA et président de la Fédération française des sociétés d’assurances, il apparaît comme le porte-parole des détracteurs du système de protection sociale « à la française ». Il se donnait ainsi en 2007 la mission d’influencer la politique du gouvernement, en déclarant : « Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. […] Il est grand temps de le réformer. […] La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! »
Ces propos, qui visaient à disqualifier la modernité de la Sécurité sociale en reprenant un argumentaire déjà employé par le CNPF en 1948, louaient la nouvelle génération de dirigeants, incarnée selon lui par Nicolas Sarkozy, et sûrement plus encore, dix ans plus tard, par Emmanuel Macron, génération qui n’a pas peur de « désavouer les pères fondateurs ».
Décrit comme dépassé et incompatible avec le contexte économique et social du XXIe siècle, le modèle social français est ainsi remis en cause par une série d’attaques violentes et répétées contre les conquêtes du CNR.
C’est précisément cette casse que le président de la République a appliquée depuis son arrivée au pouvoir : finir le travail de sape engagé par ses prédécesseurs, afin d’en finir avec le modèle social que Croizat, avec d’autres, avait mis en place pour « en finir avec la souffrance et l’angoisse du lendemain. »
À ce titre, le « nouveau monde » d’Emmanuel Macron et le système de retraites par capitalisation qu’il s’obstine à imposer aux Français sonnent bel et bien comme un bond en arrière, un recul jusque-là inédit. Convoquer la mémoire de Croizat, et celle des centaines de milliers – du million ? – de personnes qui descendirent dans les rues de Paris lui rendre un dernier hommage, lors de son enterrement, c’est rappeler l’héritage révolutionnaire inestimable qu’il nous a légué, et lutter contre la condamnation à l’oubli qui guette l’une des institutions les plus populaires auprès des Français.
L'après coronavirus :
Le "monde d'après", c'est que le gouvernement s’apprête à réduire de nouveau les services que rend la Sécu au pays, en la privant de ressources au nom de la crise sanitaire.
” Ne parlez pas d’acquis sociaux, mais de conquis sociaux, parce que le patronat ne désarme jamais. ” déclarait Ambroise Croizat.
Sources : les livres et biographies d'Ambroise Croizat de Michel Etiévent "Ambroise Croizat ou l'invention sociale", aux Editions Gap et "Marcel Paul, Ambroise Croizat Chemins croisés d'innovation sociale" aux éditions Gap.
ET LVSL Le Vent Se Lève, qui est un média d’opinion qui a pour ambition de faire vivre le débat intellectuel et de travailler à une refondation de la pensée progressiste .
Mes dessins d'Ambroise Croizat :