28 Novembre 2019
TOUT N'ETAIT PAS ROSE A LA BELLE EPOQUE
La plupart des installations de ces couvent-ateliers eut lieu dans les années 1850 et 1860.
La région lyonnaise voit naître un bon nombre de ces usines pour enfants. Une grosse majorité de filles. Enfermées toute leur jeunesse (12 à 21 ans) dans des “couvents soyeux” où le patronat et l’Eglise, avec l’assentiment de la famille, leur imposeront les dures “vertus” du travail et de la morale, dont la plus “haute” est la soumission.
L’aumônier définit clairement le but du système : “ Il faut moraliser la classe ouvrière ”, “ Au reste, tout industriel doit tendre à réaliser le plus de bénéfices possibles.
Le plus souvent, les ouvrières ne reçoivent pas de salaire ; elles travaillent 12 heures par jour ; comme première rétribution du travail qu’on demande d’elles, les ouvrières seront nourries, chauffées, éclairées et blanchies à la fabrique; on leur fournit de plus un lit ; sur 20 000 ouvrières, 16 000 couchent à deux par lit, dans des dortoirs encombrés, mal aérés, insuffisants.
Si la création de providences a été due le plus souvent à des initiatives de dames ou demoiselles pieuses qui ont essayé de s’adapter aux aléas de l’industrie de la soie, l’installation des usines-couvents obéit à une stratégie économique et financière fondée sur la soumission des ouvrières permise par un encadrement de religieuses.
Les révoltes ouvrières du printemps 1848 ont transformé la plupart des providences en orphelinats. D’autre part, le paternalisme mis en œuvre dans les usines-couvents a été de plus en plus remis en question à la fin du siècle avec l’affirmation du principe d’égalité concrétisé par le suffrage universel et la liberté syndicale.
Dans les années 1830, Lyon fait figure de ville pionnière pour les révoltes ouvrières. La commune de la Croix-Rousse est alors peuplée d'ouvriers et d'artisans, fabriquant notamment de la soie, surnommés les canuts.
La révolte des canuts désigne plusieurs soulèvements ouvriers ayant lieu à Lyon, en 1831 puis 1834 et 1848. Il s'agit de l'une des grandes insurrections sociales du début de l’ère de la grande industrie.
Lucie Baud
C'est à l'âge de douze ans que Lucie devient ouvrière en soierie, dans une fabrique où sa mère travaille déjà, après une courte enfance, dans une famille catholique... Mais Lucie a appris à lire et à écrire, ce qui lui permet de laisser son témoignage d'ouvrière, d'une inestimable valeur.
C'est dans une de ces fabriques, à Vizille, -près de Grenoble- petite ville ouvrière et réputée révolutionnaire, que travaille Lucie Baud, treize heures par jour, dans une constante concentration : les machines s'enrayent et broient, parfois.
Elle est veuve à 32 ans, avec deux enfants à charge, et doit quitter son logement de fonction. Quatre mois après le décès de son mari, elle fonde en novembre 1902 le Syndicat des ouvriers et ouvrières en soierie du canton de Vizille, dont elle devient secrétaire. Ce syndicat tenta de s'opposer à la diminution des salaires due à la mécanisation des techniques de tissage de la soie.
En août 1904 elle est la seule femme à participer en tant que déléguée syndicale au 6e congrès national de l'industrie textile à Reims. Sa présence est saluée mais on ne lui donne pas la parole.
c'est dans l'action qu'elle devient leader de la grande grève qui agite l'industrie de la soie, en 1905, contre les cadences infernales et les salaires de misère, qu'on diminue subitement de 30 à 40%. Le contexte est propice à l'exaltation, parce que nombreux sont les travailleurs, syndicalistes et révolutionnaires, qui pensent que la chute du capitalisme est imminent, et que le Grand Soir est proche.
En septembre 1906, à Voiron, la presse rend compte de la tentative de suicide de Madame veuve Lucie Baud, "très estimée". Et il ne s'agit pas d'une moitié de tentative. A trente-six ans, la militante s'est tirée trois balles dans la bouche, et a survécu.
La "Belle Epoque" n'est belle qu'au regard de l'Entre-Deux-Guerres... Pour les ouvriers et ouvrières qui ont lutté, et souvent perdu, avant de mourir, ou de voir mourir leurs compagnons, dans la boue de Verdun ou du Chemin des Dames, c'est l'époque la plus triste, celle des espoirs déçus et des nuages belliqueux qui s'amoncellent sur l'Europe.